1. Enjeu de santé publique et ambition citoyenne
Chaque année, des milliers d'arrêts cardiaques (ACR) surviennent en dehors de l'hôpital. Le pronostic dépend très largement de l'intervention immédiate du premier témoin : alerter les secours, débuter des compressions thoraciques, utiliser un défibrillateur automatisé externe (DAE) ou, a minima, mettre la victime en sécurité. La formation précoce et généralisée de la population aux gestes de premiers secours est donc un levier majeur de santé publique.
Dans ce cadre, l'Éducation nationale a structuré un continuum éducatif des premiers secours : sensibilisation aux gestes qui sauvent, formation aux premiers secours et enseignement des règles de sécurité. L'objectif est de développer une véritable culture de la sécurité civile et de la responsabilité, afin d'anticiper les crises et de renforcer la capacité de réaction de la communauté éducative.
Le programme national Apprendre à porter secours (APS) constitue le socle de ce continuum au premier degré. L'école, lieu fréquenté par tous les enfants, est le vecteur privilégié pour diffuser dès le plus jeune âge une culture du secours. À terme, il s'agit de constituer une population de citoyens formés, capables d'agir efficacement face aux urgences vitales et de réduire la mortalité évitable, en particulier liée à l'arrêt cardiaque.
2. Genèse et cadre institutionnel en France
Historiquement, la mise en place de l'APS repose sur plusieurs textes structurants :
- 1997 : la note de service n° 97-151 du 10 juillet 1997 (BO n° 27 du 17 juillet 1997) introduit l'enseignement de « l'éducation à la santé et à la citoyenneté », incluant la notion de « porter secours », dans les écoles primaires.
- 2003 : le BO n° 46 du 11 décembre 2003 étend le dispositif et vise la généralisation de l'APS dans toutes les écoles primaires, avec une extension progressive vers le collège, en partenariat avec l'Éducation nationale, le ministère chargé de la Santé et les services d'urgence (SAMU/CESU).
- 2006 : la circulaire interministérielle n° 2006-085 du 24 mai 2006 (BO n° 33 du 14 septembre 2006) consolide l'intégration de l'APS dans les programmes scolaires, avec un référentiel de compétences par cycle (prévention, protection, alerte, gestes simples) à acquérir.
- Depuis, APS ne disparaît pas : il est intégré au socle commun de connaissances, de compétences et de culture, et s'articule avec un ensemble plus large de dispositifs de formation aux premiers secours et de sensibilisation aux gestes qui sauvent, tout au long de la scolarité.
2.1. Un apprentissage désormais obligatoire, inscrit dans le Code de l'éducation et le Code de la sécurité intérieure
Les textes récents rappellent le caractère obligatoire de cet apprentissage :
- Les articles L. 312-16 et D. 312-40 à D. 312-42 du Code de l'éducation prévoient que les élèves bénéficient d'une sensibilisation à la prévention des risques, d'une information sur les missions des services de secours, d'une formation aux premiers secours et d'un enseignement des règles générales de sécurité.
- L'article L. 721-1 du Code de la sécurité intérieure définit la sécurité civile comme l'affaire de tous et place les citoyens, dont les élèves, au cœur du dispositif. L'article R. 726-1 précise l'organisation et le cadre des formations en prévention et secours civiques.
- La loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 de refondation de l'école de la République, ainsi que le décret n° 2015-372 du 31 mars 2015 relatif au socle commun, réaffirment que ces compétences en matière de prévention, de sécurité et de premiers secours font partie intégrante de la formation de l'élève.
2.2. Un continuum éducatif des premiers secours formalisé
Les politiques récentes ont organisé les différents niveaux de formation :
- à l'école maternelle et élémentaire : Apprendre à porter secours (APS), centré sur la prévention, la protection, l'alerte et les gestes élémentaires adaptés au développement de l'enfant ;
- au collège et au lycée : sensibilisation aux premiers secours et gestes qui sauvent (GQS), complétée par la formation Prévention et secours civiques de niveau 1 (PSC1) pour une partie des élèves ;
- à l'âge adulte ou dans certaines filières professionnelles : formations spécifiques (PSE, SST, etc.).
L'instruction interministérielle n° 2016-103 du 24 août 2016 sur la sensibilisation et la formation aux premiers secours et aux gestes qui sauvent précise ce continuum, en lien avec le parcours citoyen et le parcours éducatif de santé.
2.3. Actualisations réglementaires récentes (2024–2025)
Depuis 2024, le cadre a été renforcé par plusieurs textes importants :
- le décret n° 2024-242 du 20 mars 2024 relatif aux formations aux premiers secours, qui actualise l'architecture générale des formations et leur articulation avec la sécurité civile ;
- les arrêtés du 15 juin 2024 relatifs à la filière citoyenne de sécurité civile et à la filière pédagogique de sécurité civile, qui précisent les référentiels nationaux de compétences, de formation et de certification pour les formations aux premiers secours, y compris pour les formateurs et personnels de l'Éducation nationale ;
- l'arrêté du 26 février 2025 modifiant l'arrêté du 31 décembre 2015 relatif aux modalités d'attribution du diplôme national du brevet, qui consolide la place des compétences de prévention et de secours civiques dans le cursus de fin de collège.
À ces textes s'ajoutent des arrêtés antérieurs (19 septembre 2005, 17 février 2011, 16 novembre 2011, 1er juillet 2013, 27 août 2013, 19 mai 2015, 31 décembre 2015, 30 mai 2016, 20 août 2018, 21 juillet 2023) et de nombreuses circulaires et instructions (2006–2018) qui encadrent l'habilitation des organismes de formation, la formation continue des formateurs, le parcours citoyen, le parcours éducatif de santé et l'organisation de la formation continue aux premiers secours.
Au total, le dispositif APS ne repose plus uniquement sur les textes fondateurs de 1997–2006, mais sur un corpus réglementaire structuré, actualisé et articulé avec la politique nationale de sécurité civile et de formation aux premiers secours.
3. Organisation, progression pédagogique et mise en œuvre
Le cœur de l'efficacité du programme réside dans une progression pédagogique adaptée à l'âge et aux capacités des élèves, ainsi que dans une mise en œuvre structurée, reposant sur des enseignants formés, des partenaires externes et des outils adaptés. APS est désormais présenté par l'Éducation nationale comme la première étape du continuum éducatif des premiers secours, avant 10 ans.
3.1. Objectifs éducatifs transversaux
Le dispositif APS vise à développer, pour chaque élève, une culture de la responsabilité, de la sécurité et de la solidarité. Les compétences visées sont réparties en quatre grands axes :
- Prévention : repérer les dangers, anticiper les risques, adopter des comportements sécuritaires au quotidien.
- Protection : éviter le sur-accident, protéger la victime, les témoins et soi-même.
- Alerte : savoir identifier la situation d'urgence, composer le 15 ou le 18, donner des informations précises (lieu, nature de l'événement, état de la victime), rester en ligne, suivre les consignes.
- Intervention / secours : mettre en œuvre des gestes adaptés au niveau d'autonomie de l'élève (mise en position de récupération, protection d'une plaie, refroidissement d'une brûlure, surveillance en attendant les secours, etc.).
Ce socle de compétences contribue à former des citoyens capables de prévention active, conscients des risques, et de leur rôle dans la chaîne de secours. Il est en cohérence avec l'objectif, rappelé en 2025, de faire des élèves de véritables acteurs de sécurité civile au sein de leurs établissements.
3.2. Progression par cycle scolaire
La structure pédagogique d'APS tient compte de l'évolution cognitive et motrice de l'enfant :
- Cycle 1 (maternelle) : repérer des situations anormales ou dangereuses (chute, objet tranchant, feu, personne qui ne répond pas), chercher de l'aide, alerter un adulte. L'accent est mis sur l'identification du danger et la recherche de protection.
- Cycle 2 (début élémentaire) : compréhension des numéros d'urgence, premiers éléments de description d'une situation, protection simple de la victime, transmission immédiate de l'alerte à un adulte ou directement aux secours sous supervision.
- Cycle 3 (fin élémentaire) : maîtrise des gestes simples de secours (mise en position latérale de sécurité, protection de plaie, actions de base en cas de brûlure ou de traumatisme), alerte structurée, sensibilisation aux dangers domestiques et environnementaux.
APS ne constitue pas une discipline isolée, mais s'inscrit dans le socle commun, en lien avec l'enseignement moral et civique, les sciences, l'éducation physique et sportive et les parcours éducatifs (parcours citoyen, parcours éducatif de santé). Les compétences visées peuvent être mentionnées dans le livret scolaire, et l'attestation APS est valorisée comme marqueur de compétence citoyenne.
3.3. Acteurs de la formation : enseignants formés et partenaires
La transmission des compétences repose principalement sur des enseignants :
- titulaires d'une formation aux premiers secours (PSC1 ou équivalent, SST, PSE),
- ou accompagnés par des formateurs agréés (formateurs PSC1, GQS, PSE, etc.), reconnus par les autorités académiques ou organismes habilités.
Les chargés académiques du dossier secourisme (CADS) organisent la formation initiale et continue des formateurs, en lien avec les plans académiques de formation. Ils s'appuient sur des partenariats avec :
- les SAMU et CESU,
- les services d'incendie et de secours,
- les associations agréées de sécurité civile,
- des intervenants spécialisés.
Un rapport parlementaire de 2011 signalait déjà l'existence de milliers de moniteurs, permettant un maillage du territoire. Les textes récents (notamment l'arrêté du 15 juin 2024 sur la filière citoyenne de sécurité civile et les instructions de 2018) visent à consolider cette dynamique, à structurer les référentiels de compétences et à garantir la qualité de la formation.
3.4. Outils pédagogiques et ressources
Les ressources mises à disposition des équipes éducatives sont variées :
- Guides repères nationaux (« Quelques repères pour apprendre à porter secours du cycle 1 au cycle 3 »), régulièrement actualisés, décrivant les compétences attendues, des exemples de séquences pédagogiques et des situations d'apprentissage.
- Outils numériques et jeux pédagogiques : vidéos, applications, jeux de plateau ou de cartes, permettant de travailler la prévention, la protection, l'alerte et les premiers secours de manière interactive.
- Modules de simulation adaptés à l'âge des élèves, pour pratiquer l'alerte, la mise en sécurité et certains gestes simples.
- Documents de suivi intégrés aux outils de pilotage de l'école, permettant de tracer les apprentissages réalisés par cycle et de planifier les révisions.
APS dépasse ainsi largement la simple sensibilisation ponctuelle : il s'agit d'une appropriation progressive et durable, qui s'inscrit dans le projet d'école et dans la construction de l'identité citoyenne de l'élève.
4. Déploiement actuel dans les écoles : enseignement, actualisation et défis
Le site national de l'Éducation nationale confirme qu'APS est toujours en vigueur au premier degré, dans le cadre du socle commun, et s'intègre au continuum éducatif des premiers secours. Des opérations comme la semaine nationale de prévention à l'école illustrent cette dynamique, en proposant des actions ciblées sur les accidents de la vie courante et les gestes de prévention.
Cependant, plusieurs défis persistent :
- Couverture inégale : la mise en œuvre reste variable selon les académies, les circonscriptions et les écoles, en fonction des ressources humaines disponibles (enseignants formés, formateurs, partenariats locaux).
- Concurrence avec d'autres priorités : dans un contexte de charge curriculaire élevée, APS peut être relégué au second plan si le pilotage n'est pas affirmé.
- Suivi national insuffisamment consolidé : il n'existe pas encore de système national exhaustif recensant le nombre d'élèves réellement formés ni l'intensité de la formation dans le temps, ce qui rend difficile l'évaluation de l'impact global sur la capacité de réponse de la population.
Ces limites plaident pour un pilotage renforcé, une lisibilité accrue des objectifs et une articulation plus systématique avec les formations du second degré (GQS, PSC1) et les politiques de sécurité civile.
5. Apprendre à porter secours et initiative internationale Kids Save Lives
L'année 2015 a marqué un tournant avec la reconnaissance internationale de l'importance de la formation des jeunes à la RCP. La déclaration Kids Save Lives, approuvée par l'Organisation mondiale de la santé et portée par l'ERC et l'ILCOR, recommande au moins deux heures de formation pratique en RCP par an, à partir de 10 à 12 ans, idéalement assurée par les enseignants.
Cette recommandation repose sur plusieurs constats :
-
Capacité des élèves à apprendre la RCP
À partir de 10 à 12 ans, les études montrent que les élèves sont capables de réaliser des compressions d'efficacité suffisante, de reconnaître un arrêt cardiaque (victime inconsciente, ne respirant pas normalement) et de transmettre une alerte structurée aux services d'urgence.
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Effet multiplicateur dans la population
Un élève formé aux gestes qui sauvent transmet volontiers ces connaissances à ses proches. Cela augmente le nombre de personnes sensibilisées dans la population générale, et, à terme, le taux de RCP réalisées par les témoins.
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Bénéfice cumulé à long terme
Répéter la formation sur plusieurs années, avec des révisions régulières, permet de stabiliser et d'entretenir les compétences jusqu'à l'âge adulte.
5.1. Position actuelle de la France dans ce contexte
Avec APS, la France a été précoce à introduire la question du secours à l'école, bien avant Kids Save Lives. Toutefois, si l'APS est bien présent au premier degré, la RCP pratique et l'usage du DAE ne sont pas encore enseignés de manière systématique à tous les élèves, ni répétés annuellement comme le préconise Kids Save Lives.
Le continuum français est robuste sur le plan théorique (APS au primaire, GQS et PSC1 au collège/lycée, référentiels nationaux à jour), mais son effectivité reste variable. L'enjeu est désormais de passer d'un dispositif potentiellement très performant à un dispositif pleinement déployé.
5.2. Modèles européens inspirants
Plusieurs pays européens ont légiféré pour rendre obligatoire l'enseignement de la RCP à l'école, avec certification, évaluation de la qualité et recyclage régulier. Ces pays ont observé :
- une augmentation rapide du taux de RCP par témoins ;
- une diffusion massive des compétences dans la population ;
- une amélioration significative de la survie après ACR extra-hospitalier.
Ils illustrent l'impact d'un dispositif structuré, piloté et homogène à l'échelle nationale.
5.3. Apports des recommandations ERC 2025
Les recommandations ERC 2025 en matière d'éducation à la réanimation confortent cette orientation :
- les systèmes éducatifs sont identifiés comme des acteurs clés de la chaîne de survie ;
- l'enseignement doit commencer tôt et être entretenu ;
- la formation doit être mesurable, évaluée, et s'appuyer sur des méthodes actives (simulation, outils numériques, e-learning) ;
- les écoles sont encouragées à devenir de véritables communautés de secours, où la RCP fait partie des compétences partagées.
Dans ce contexte, APS est un levier majeur pour aligner la France sur ces recommandations, à condition d'être pleinement intégré dans ce cadre global.
6. Recommandations pour APS dans une perspective 2025–2030
Pour renforcer l'impact d'APS et son articulation avec le continuum des premiers secours :
- Aligner les contenus pédagogiques sur les dernières recommandations nationales et internationales en RCP, DAE, gestion des urgences vitales et prévention des accidents.
- Clarifier les attendus par cycle dans les repères nationaux, en s'assurant que tous les élèves sortant du cycle 3 ont acquis un socle minimal de compétences en prévention, protection et alerte.
- Renforcer les liens avec le second degré : APS doit être pensé comme une première marche vers la sensibilisation aux gestes qui sauvent (GQS) et la formation PSC1 au collège et au lycée.
- Structurer la formation et la certification des enseignants dans le cadre de la filière pédagogique de sécurité civile, en suivant les référentiels définis par les arrêtés de 2024.
- Mettre en place un suivi national permettant de disposer de données fiables sur le nombre d'élèves formés et la couverture réelle du dispositif.
- Impliquer davantage les familles en les informant du contenu des formations suivies par leurs enfants et en les invitant à prolonger ces apprentissages à la maison.
7. Conclusion
Depuis la fin des années 1990, la France s'est dotée d'un dispositif structuré et progressivement renforcé pour l'apprentissage des premiers secours à l'école. APS, complété par les dispositifs de sensibilisation aux gestes qui sauvent et de formation aux premiers secours dans le second degré, constitue un pilier du continuum éducatif mis en avant par l'Éducation nationale et par les autorités de sécurité civile.
Dans un contexte où l'arrêt cardiaque extra-hospitalier représente toujours un enjeu majeur de santé publique, l'actualisation réglementaire récente (décret de 2024, arrêtés de 2024 et 2025) et les recommandations internationales (Kids Save Lives, ERC 2025) convergent vers une même exigence : faire de chaque élève un acteur de prévention et de secours, et de l'école un lieu structurant de diffusion des gestes qui sauvent.
Renforcer, pérenniser et homogénéiser la mise en œuvre d'APS sur tout le territoire, en l'inscrivant pleinement dans ce continuum, constitue une opportunité réelle pour améliorer la chaîne de survie et, concrètement, sauver des vies.